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En passant

Manifeste pour une économie positive

Manifeste pour l’économie positive

Notre modèle économique semble avoir atteint ses limites. Les crises s’enchaînent et se nourrissent, inextricablement liées : de crise financière en crise économique. De crise sociale en crise environnementale. De crise politique en crise philosophique. Avançons trois raisons majeures qui nous incitent à agir.
En premier lieu, parce que les modèles qui ont organisé le XXe siècle ont mené à l’impasse. Le socialisme d’Etat, supposé donner la priorité au long terme et au collectif, a échoué par son incapacité à permettre la croissance et le développement de tous. De son côté, le capitalisme financier, qui ne cherchait plus qu’à se protéger du risque, a imposé partout un modèle construit sur l’incitation financière. La valeur travail s’en est délitée, et la logique assurantielle a pris le pas sur la logique mutualiste.
Ensuite, parce que la dictature du court terme est suicidaire. Le temps politique se plie à l’échéance omniprésente de la prochaine élection. Le temps médiatique s’enflamme pour des durées aussi courtes que le nombre de caractères qui l’animent. Le trading à haute fréquence se déploie en nanosecondes, l’actionnariat se fait de plus en plus nomade (la durée moyenne de détention des titres du CAC 40 est de quatre mois) et ce court-termisme abîme en fin de compte le seul bien essentiel et précieux qui échappe au marché.
Enfin, parce que l’avenir défie la raison marchande. On ne peut plus appliquer aux grandes activités émergentes (santé, éducation, information…) les mêmes principes d’incitation, de rémunération, de tarification. Or, ces secteurs sont devenus fondamentaux. De plus, depuis cinq ans, la croissance du produit intérieur brut a ralenti. Elle est même négative. Pourtant, l’espérance de vie augmente encore. Le téléphone mobile, les tablettes et les réseaux sociaux ont bouleversé la vie des gens, par des activités non marchandes. Le lien entre niveau de vie et croissance est de plus en plus rompu. Le phénomène s’amplifiera.
Nous ne ferons pas face à ces transformations en faisant  » plus  » de ce que nous faisions déjà. Il y a nécessité à développer un nouveau modèle, et nous voyons déjà, par ailleurs, les prémices prometteuses d’une économie positive.
Mais qu’est-ce que l’économie positive ? Elle peut se résumer en une phrase : une économie qui rassemble toutes les entités produisant des biens ou des services, marchands ou non marchands, d’une façon économiquement viable et utile à la fois aux employés et aux clients, à leurs communautés et aux générations suivantes.
L’économie positive, c’est d’abord une vision positive de l’homme. Il est facile de se contenter de l’idée de rapports humains égoïstes et court-termistes, et de se résigner au cynisme. Il faut du courage pour croire au contraire.
L’économie positive, c’est une prise en compte de l’autre. Dans La Théorie des sentiments moraux, initialement publié en 1759, Adam Smith disait :  » Aussi égoïste que l’homme puisse être supposé, il y a évidemment certains principes dans sa nature qui le conduisent à s’intéresser à la fortune des autres et qui lui rendent nécessaire leur bonheur, quoiqu’il n’en retire rien d’autre que le plaisir de les voir heureux.  » Chacun a intérêt au bonheur de l’autre. L’autre maintenant, mais aussi l’autre hier et l’autre demain.
L’économie positive, c’est un regard qui se porte non seulement plus loin dans le temps, mais lui offre une qualité intrinsèque. Le temps y est un bien essentiel, pour que chacun puisse mener une vie digne et participer au bien commun. Développer le  » bon temps « , c’est se donner comme objectif que chacun a le temps de sa vie et de ceux qu’il aime, dans cette génération comme les suivantes, le temps le plus plein, libre, serein et créatif que possible.
L’économie positive c’est l’action. La morale, seule et trop abstraite,  » ça n’a jamais donné que des psaumes  » disait le philosophe français d’origine lituanienne Emmanuel Lévinas. L’économie positive ne se pérennisera que si elle s’inscrit dans le pragmatisme, dans le réel, dans le concret.
L’économie positive est en marche. Elle n’est pas une idéologie, mais un mouvement nécessaire pour empêcher le suicide de l’humanité. Elle existe déjà, dans des entreprises, des coopératives, des associations et dans certaines activités : la microfinance, le commerce équitable, l’entreprenariat social, etc. Elle produit déjà de la valeur.
L’économie de la musique est d’ailleurs prémonitoire : nous sommes passés de la  » consommation  » à la  » pratique « , sortant de la pure raison marchande pour aller vers le partage et la réciprocité ( » peer to peer « , etc.). La microfinance est un secteur de l’économie positive, en ce qu’elle donne, à ceux qui en ont le plus besoin, l’accès à une finance adaptée.
L’économie positive crée déjà des emplois de qualité, et permet à chacun de disposer de  » bon temps « . La France est d’ailleurs en avance dans nombre de ces domaines. Les politiques, les dirigeants d’entreprise, les syndicats ont donc un rôle à jouer pour construire une économie qui oeuvre ainsi pour les générations passées, présentes et futures.
Le mouvement de l’économie positive, comme tout mouvement qui se développe en partant du bas, nécessite encore de la reconnaissance, de l’organisation, de la visibilité, de la force.
Pour devenir le nouveau référentiel, le mouvement devra relever des défis.
Etre mesurable, pour créer un langage commun. Il faut ainsi développer des critères quantifiables (index, mesures, études) pour en mesurer l’impact et permettre de comparer, de développer, d’inciter.
Etre partagé, pour faire que les initiatives exemplaires puissent en inspirer d’autres. Nous devons partager les bonnes pratiques pour en extraire des leçons, des modèles, des inspirations.
Etre opérationnel, pour faire de l’économie positive une réalité concrète et probante. Il est fondamental d’offrir des possibilités d’action, des feuilles de route pour appliquer cette vision aux grandes problématiques.
Etre universel, pour permettre à chacun d’en être l’un des agents. Nous devons impliquer le plus grand nombre, et notamment faire participer la jeune génération à la construction du monde que nous leur laisserons.
Etre diffusé, enfin, pour devenir le modèle de référence connu et reconnu.
Une autre économie est possible. Pérenne. Loyale. Altruiste.

Jacques Attali
Economiste

7 Réponses

  1. WM

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    mars 3, 2013 à 16 h 03 min

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    février 25, 2013 à 12 h 27 min

  3. Hallo,
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    février 13, 2013 à 23 h 13 min

  4. You have touched on many important issues and, though I would like to agree, I’m not sure I can. I suspect that the curve of technological and, thus, social change has become exponential, logarithmic. As such, we will not simply replace an old model with a new one – new paradigms will not have the opportunity to establish themselves before they are themselves anachronisms. Trotsky’s dream of permanent revolution is about to dawn, but it may prove to be a nightmare. Bravo for engaging with such important issues!

    février 11, 2013 à 22 h 57 min

    • Thanks Adam for your very interesting point of view, it is true that the story continues from will accelerate and quickly makes obsolete ideas. But the complex nature of the man is not able to surprise? History will tell…

      Thanks for this accuracy comment.

      Merci Adam pour ton point de vue fort intéressant, il est vrai que l’histoire ne cesse de s’accélèrer et rend vite les idées nouvelles obsolètes. Mais la nature complexe de l’homme-elle n’est pas en mesure de nous surprendre? L’histoire nous le dira…

      février 12, 2013 à 7 h 57 min

      • Nico

        Très belles idées de ce cher Jacques, conseiller depuis de très nombreuses années de nos plus grands dirigeants, de Mitterrand à Sarkozy et probablement pas assez écouté. A moins qu’il ne l’ait trop été?
        Posons la questions aux fonctionnaires dont il a recommandé, dans son rapport de 2010, le gel du point d’indice et le non remplacement d’un sur d’eux d’entre-eux partant à la retraite. Peut-être étaient-ils en avance sur ses théories et trop nombreux à prendre du « bon temps ».
        Posons la questions aux malades chroniques (cancéreux profiteurs et autres diabétiques assistés), auxquels il souhaitait, dixit le même rapport, demander de « participer » à leur frais médicaux. Sûrement un exemple de ce qu’il nomme l’économie « altruiste ».
        Posons-nous la question de savoir si la réduction de la dette à 3% du PIB a marche forcée est une vraie ou une fausse bonne idée. Même le FMI, pourtant si orthodoxe, semble en douter. Mais pas ce bon vieux Jacques qui en faisait l’apologie à travers sa commission éponyme.
        Passons sur l’idée d’augmenter la TVA et la CSG et sur la réduction de la fiscalité sur les opérations financières, ce serait de la pure provoc’.
        Allez Jacques, on ne t’en veut pas, tu vas comme tu es toujours allé: là où le vent te porte. Et n’oublie pas ta veste à deux faces, tu pourrais attraper froid.

        février 18, 2013 à 14 h 52 min

      • Opportuniste, complètement d’accord, mais idées séduisantes, trop peu être!!! Attali doit être une de ces sirènes « idéologues » qui expérimentent leurs concepts surtout en pleine tempête politique par le biais de « marins d’eau douce » (nos dirigeants) sans jamais se mouiller les mains, pas très catholique!

        février 18, 2013 à 18 h 07 min

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